Accueillons les exilés: prédication du 10 juillet 2016

Culte du 10 juillet 2016  Prédication prononcée par René Schaerer

Lectures :

1 ) Deut. 30 : 9 – 14

2) Luc 10 : 25 – 37

 Prédication :

« Un spécialiste de la loi se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve… » Il y a deux récits qui se ressemblent, dans les évangiles et notamment dans celui de Luc, celui du jeune homme riche et celui du spécialiste de la loi. Le jeune homme riche s’adresse à Jésus en l’appelant « Mon bon maître » alors que le second cherche à tendre un piège à Jésus, mais dans les deux cas, il s’agit d’une question sur la mise en pratique de la Loi de Moïse  et sur l’obtention de la vie éternelle. La question est de savoir comment se comporter pour mériter la vie éternelle. Jusqu’où aller dans la pratique des commandements pour être jugé digne d’être inscrit dans le livre de vie ? Et les auditeurs de Jésus s’attendent à ce que Jésus se comporte en maître, en « rabbi », en donnant un enseignement qui concerne la vie de tous les jours. La notion de mérite est en effet commune dans le judaïsme de cette époque. Bien qu’elle ne nous soit pas familière, à nous chrétiens protestants, elle est admise par les interlocuteurs de Jésus et nous voyons, dans ce texte, que Jésus ne la discute pas ! En ce qui concerne « la vie éternelle », il y a deux manières de comprendre le terme, – déjà chez les maîtres du temps de Jésus, – celle que l’on retrouve surtout dans l’évangile de Jean et qui désigne une plénitude de vie, dès maintenant, au cours de notre vie terrestre ; l’autre manière de comprendre le terme, et sur laquelle semble porter la question posée à Jésus concerne la vie sans fin dans le monde à venir. Au chapitre 18 du même évangile, Jésus déclare à ses disciples : « .. Amen, je vous le dis, il n’est personne qui, ayant quitté, à cause du règne de Dieu, maison, femme, frères, parents ou enfants, ne reçoive beaucoup plus dans ce temps-ci et, dans le monde qui vient, la vie éternelle. » Ces deux manières de comprendre l’expression, – qui d’ailleurs ont cours dans l’église encore aujourd’hui, – sont, comme on le voit, complémentaires et il n’y a pas lieu de se quereller dessus ! La question du spécialiste de la loi est ailleurs !

Il connait par cœur la Loi de Moïse et ses commentaires mais il sait, – car on en discute au temps de Jésus, – qu’il y a difficulté à comprendre le terme de « prochain » : s’agit-il de l’ami, du compagnon, du frère de la même tribu ou en tous cas du même peuple ? S’agit-il au contraire de tout être humain quels que soient son peuple ou son statut ?

Hillel l’ancien, était un maître juif qui naquit avant Jésus et disparut au début du premier siècle de notre ère, avant le début du ministère de Jésus. Voici comment il avait résumé, pour un interlocuteur païen, l’ensemble de la Loi de Moïse : «  Ce que tu ne voudrais pas que l’on te fît, ne l’inflige pas à autrui. C’est là toute la Torah, le reste n’est que commentaire. […]»[1] Cette manière négative de résumer la Loi et les prophètes n’est pas neutre ! En effet, si notre prochain est celui qui nous veut du bien, rien de plus facile que de l’aimer ; mais si c’est celui qui peut nous faire du mal, ou à qui nous pourrions faire du mal, alors c’est n’importe qui, toute personne humaine. Jésus ne donne-t-il pas le même enseignement dans le sermon sur la montagne quand il dit : « En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? » (Matt. 5/46) C’est ce que nous pouvons retrouver dans la parabole du « bon samaritain ». Le prêtre et le lévite ne discernent pas leur prochain dans l’homme blessé et laissé « à demi mort » par les brigands de la route : il n’est pas de leur village ni de leur tribu, – qui sait même s’il est de leur peuple ? De plus, en raison du service qu’ils assurent au temple, ils ne doivent pas se souiller au contact d’un mort. Bien entendu, le spécialiste de la Loi comprend, comme Jésus le lui fait dire, qu’ils passent à côté de l’occasion d’être le prochain de l’homme blessé. Or, c’est un enseignement unanime des maîtres du temps de Jésus : porter secours à quelqu’un en danger de mort passe avant tous les commandements, même celui du repos  du sabbat. Mais la question du spécialiste de la Loi n’est pas exactement là ; elle est ; « Qui est mon prochain ? Qui est celui ou celle que je dois aimer comme moi-même ?» Là où Jésus veut en venir, semble-t-il, c’est que l’on devient le prochain de celui ou de celle à qui il faut porter secours, parce qu’on n’a pas le choix de faire autrement, parce qu’il est là avec sa détresse et qu’on a avec soi ce qu’il faut pour lui venir en aide. Autrement dit, la définition du prochain s’impose à l’évidence. C’est le besoin qu’autrui à de nous et la compassion que nous éprouvons devant sa détresse qui le désignent comme notre prochain. Notre engagement devrait même aller au-delà des premiers secours puisque Jésus raconte que le samaritain ne se contente pas d’un premier pansement et du transport aux urgences mais qu’il paie le séjour hospitalier, quel qu’en soit le prix : « Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai moi-même à mon retour. »

Nous pouvons comprendre désormais pourquoi le Saint Esprit a inspiré le choix de la première lecture de ce jour dans le Deutéronome. Voici ce que nous y avons entendu : « Car ce commandement que j’institue pour toi aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ta portée. 12 – Il n’est pas dans le ciel, pour que tu dises : « Qui montera pour nous au ciel afin de nous l’apporter et de nous le faire entendre, pour que nous le mettions en pratique ? » […] Cette parole, au contraire, est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. » Nous sommes donc invités à devenir le prochain de qui en a besoin. Il n’y a pas là de définition dogmatique : ce sont les circonstances qui nous mettent sur le chemin de notre prochain. Le plus souvent, nous n’avons pas le choix. Et d’ailleurs le spécialiste de la loi a très bien compris la leçon du maître. A la question : « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux mains des bandits ? 37 – Il répondit : C’est celui qui a montré de la compassion envers lui. » Et Jésus ajoute : « Va, et toi aussi, fais de même.»

Le conseil national de l’EPUdF nous invite aujourd’hui à prendre la parole en faveur des exilés, de leur accueil dans notre pays. Remarquons que nous n’avons pas le choix : ils sont là ; ils dorment dans la rue, par tous les temps ; ils font la queue à la Préfecture ; ils se nourrissent comme ils peuvent ; ils n’ont pas le droit de travailler. Il y a, dans notre pays, des autorités qui, comme le prêtre et le lévite de la parabole, ont de bonnes raisons – ou des raisons d’état, – de passer outre ! A eux de réfléchir aux questions de fond qui se posent. Mais nous, n’avons pas ce choix là : des étrangers sont là qui ont besoin de reconnaître en nous leur prochain. Nous sommes sur la même route qu’eux, nous ne sommes pas blessés, nous avons de quoi donner les premiers soins et accompagner jusqu’à un premier hébergement.

Nous n’avons pas le choix et la parole qui nous est dite dans le Deutéronome est simple : « Cette parole, […] est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. »

Amen !

[1] (A une autre occasion), un païen est venu devant Shamaï et lui a dit “convertis-moi à condition que tu m’enseignes la Torah tout entière pendant que je tiens sur un pied”. Sur ce, il l’a renvoyé avec le bâton qu’il tenait dans la main. Lorsqu’il (le païen) s’est présenté devant Hillel, il (Hillel) lui dit : “ce qui t’est détestable ne le fais pas à ton prochain : c’est là toute la Torah, le reste n’est que commentaire, va et étudie la”.

Ou : Tobie 4/15 : « Ne fais à personne ce que tu détestes, et que cela n’entre dans ton cœur aucun jour de ta vie »

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