Concorde entre Eglises issues de la Réforme en Europe
(Concorde de Leuenberg) – 16 mars 1973
1. En approuvant la présente Concorde, les Eglises luthériennes et réformées, les Eglises unies qui en sont issues, ainsi que les Eglises des Vaudois et des Frères moraves qui leur sont apparentées et dont l’origine est antérieure à la Réforme, constatent, sur la base de leurs entretiens doctrinaux qu’elles ont une compréhension commune de l’Evangile, telle qu’elle est exposée ci-dessous. Cela leur permet de déclarer entre elles la communion ecclésiale, et de la réaliser. Reconnaissantes d’avoir été amenées à se rapprocher les unes des autres, elles confessent en même temps que le combat pour la vérité et l’unité dans l’Eglise a aussi été et demeure marqué par le péché et la souffrance.
2. L’Eglise a pour unique fondement Jésus-Christ, qui par la communication de son salut dans la prédication et les sacrements, la rassemble et l’envoie. C’est pourquoi, selon la conviction des Réformateurs, la condition nécessaire et suffisante de la vraie unité de l’Eglise est l’accord dans la prédication fidèle de l’Evangile et l’administration fidèle des sacrements. Les Eglises participantes font découler de ces critères hérités de la Réforme leur compréhension de la communion ecclésiale telle qu’elle est exposée ci-après.
I – Le cheminement vers la communion
3. En raison des différences considérables dans les modes de pensée théologique et de pratique ecclésiastique, les Réformateurs, par obéissance à leur foi et à leur conscience, n’ont pu éviter des divisions, en dépit de nombreux éléments communs. Par la présente Concorde, les Eglises concernées reconnaissent que depuis l’époque de la Réformation leurs relations mutuelles se sont modifiées.
1. Eléments communs à l’origine de la Réforme
4. Avec le recul, on reconnaît plus clairement aujourd’hui ce que, malgré toutes les oppositions, les Eglises de la Réforme avaient de commun dans leur témoignage : elles se fondaient au départ sur une expérience nouvelle de l’Evangile comme porteur de liberté et de certitude. En prenant fait et cause pour la vérité reconnue de l’Evangile, les Réformateurs se sont heurtés à des traditions ecclésiastiques de leur temps. Unanimement, ils ont confessé que le témoignage pur et originel de l’Evangile dans l’Ecriture est la norme de la vie et de la doctrine. Unanimement, ils ont témoigné de la grâce libre et inconditionnelle de Dieu, manifestée dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ et offerte à quiconque met sa foi en cette promesse. Unanimement, ils ont confessé que seule la mission impartie à l’Eglise de proclamer ce témoignage dans le monde doit déterminer l’action et les structures ecclésiales, et que la Parole du Seigneur demeure souveraine par rapport à n’importe quelle structuration humaine de la communauté chrétienne. En même temps, ils ont reçu et confessé à nouveau, de concert avec toute la chrétienté, la foi exprimée dans les symboles de l’Eglise ancienne, foi au Dieu trinitaire ainsi qu’à la divinité et à l’humanité de Jésus-Christ.
2. Conditions différentes de la situation ecclésiale actuelle
5. Au cours de quatre siècles d’histoire, les questions théologiques des temps modernes, l’évolution de la recherche scripturaire, les mouvements de renouveau ecclésial et la redécouverte de la perspective oecuménique, ont conduit les Eglises de la Réforme à des formes de pensée et de vie nouvelles et semblables. Ces facteurs ont, il est vrai, provoqué à leur tour de nouvelles oppositions, qui se manifestent au sein même des confessions. D’autre part, on a fait toujours à nouveau l’expérience de la communion fraternelle, surtout dans les périodes de souffrance commune. Tout cela a amené les Eglises, notamment depuis les mouvements de réveil du XIXe siècle, à actualiser de façon nouvelle pour le temps présent le témoignage biblique ainsi que les confessions de foi de la Réforme. De cette façon elles ont appris à faire la différence entre le témoignage fondamental des confessions de foi de la Réforme et leur forme historique. Parce qu’elles témoignent de l’Evangile comme de la Parole vivante de Dieu en Jésus-Christ, les confessions de foi ne ferment pas la voie à la recherche d’une nouvelle expression normative de l’Evangile, mais l’ouvrent au contraire et incitent à s’y engager dans la liberté de la foi.
II – La compréhension commune de l’Evangile
6. Les Eglises participantes décrivent comme suit leur compréhension commune de l’Evangile, se limitant aux aspects déterminants pour leur communion ecclésiale.
1. Le message de la justification en tant que message de la libre grâce de Dieu
7. L’Evangile proclame Jésus-Christ, le salut du monde, accomplissement de la promesse faite au peuple de l’ancienne Alliance.
8. a) Les Réformateurs en ont la juste compréhension dans la doctrine de la justification.
9. b) Ce message rend témoignage à Jésus-Christ,
l’incarné en qui Dieu s’est lié à l’homme ;
le crucifié et le ressuscité qui a pris sur lui le jugement de Dieu et a manifesté ainsi l’amour de Dieu pour le pécheur ;
et celui qui vient et qui, comme juge et sauveur, conduit le monde à son accomplissement.
10. c) Par sa parole, Dieu appelle dans le Saint-Esprit tous les hommes à la conversion et à la foi, et confère au pécheur qui croit sa justice en Jésus-Christ. Celui qui met sa confiance en l’Evangile est justifié devant Dieu à cause de Christ et libéré de l’accusation de la loi. Appelé à la conversion et au renouvellement quotidiens, il vit avec la communauté, dans la louange de Dieu et le service du prochain, dans l’assurance que le règne de Dieu s’accomplira. Ainsi, Dieu crée une vie nouvelle et instaure au sein du monde le commencement d’une humanité nouvelle.
11. d) Ce message rend les chrétiens libres pour un service responsable dans le monde, et prêts aussi à souffrir dans ce service. Ils reconnaissent que la volonté de Dieu, qui exige et qui donne, englobe le monde entier. Ils s’engagent pour la justice terrestre et la paix entre les individus et entre les peuples. Il est nécessaire, en conséquence, qu’ils recherchent avec d’autres hommes des critères rationnels appropriés et qu’ils participent à l’application de ceux-ci. Ils se font dans la certitude que Dieu maintient le monde, et en assument la responsabilité devant son jugement.
12. e) En comprenant l’Evangile de cette façon, nous nous plaçons sur le terrain des symboles de l’Eglise ancienne et reprenons à notre compte la conviction commune aux confessions de foi de la Réforme que l’exclusive médiation salvatrice de Jésus-Christ est le centre de l’Ecriture et que l’annonce de la justification, en tant qu’annonce de la libre grâce de Dieu, est la norme de toute prédication de l’Eglise.
2. Prédication, baptême et Cène
13. L’Evangile nous est fondamentalement attesté par la parole des apôtres et des prophètes dans les saintes Ecritures de l’Ancien et du Nouveau Testaments. L’Eglise est chargée de transmettre cet Evangile par la parole orale dans la prédication, et par l’exhortation individuelle, par le baptême et la cène. Dans la prédication, le baptême et la cène, Jésus-Christ est présent par le Saint-Esprit. La justification en Christ est ainsi accordée à l’homme et le Seigneur assemble ainsi son Eglise. Il y agit par de multiples ministères et services, et par le témoignage de tous les membres de son Eglise.
14. a) Baptême
Le baptême est administré avec de l’eau au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Dans le baptême, Jésus-Christ accueille l’homme dans l’esclavage du péché et de la mort, il l’introduit de façon irrévocable dans la communion de son salut, afin qu’il devienne une nouvelle créature. Il l’appelle, par la force du Saint-Esprit, à s’agréger à son Eglise, à vivre dans la foi, à se convertir et à le suivre chaque jour.
15. b) Cène
Dans la Cène, Jésus-Christ, le ressuscité, s’offre lui-même, en son corps et en son sang donnés pour tous, par la promesse de sa parole, avec le pain et le vin. Il nous accorde ainsi le pardon des péchés et nous libère pour une vie nouvelle dans la foi. Il renouvelle notre assurance d’être membres de son corps. Il nous fortifie pour le service des hommes.
16. En célébrant la Cène, nous proclamons la mort du Christ par laquelle Dieu a réconcilié le monde avec lui-même. Nous confessons la présence du Seigneur ressuscité parmi nous. Dans la joie de la venue du Seigneur auprès de nous, nous attendons son avènement dans la gloire.
III – L’accord face aux condamnations doctrinales de l’époque de la Réforme
17. Les controverses qui rendirent impossible dès l’époque de la Réforme une communion ecclésiale entre Eglises luthériennes et réformées, et qui menèrent à des condamnations réciproques, concernaient la doctrine de la cène, la christologie et la doctrine de la prédestination. Nous prenons au sérieux les décisions des pères, mais nous sommes en mesure de déclarer aujourd’hui d’un commun accord ce qui suit :
1. Cène
18. Dans la Cène, Jésus-Christ le ressuscité se donne lui-même en son corps et son sang, livrés à la mort pour tous, par la promesse de sa parole, avec le pain et le vin. De la sorte, il se donne lui-même sans restriction à tous ceux qui reçoivent le pain et le vin; la foi reçoit la cène pour le salut, l’incrédulité la reçoit pour le jugement.
19. Nous ne saurions dissocier la communion avec Jésus-Christ en son corps et en son sang de l’acte de manger et de boire. Toute considération du mode de présence du Christ dans la cène qui serait détachée de cet acte risque d’obscurcir le sens de la cène.
20. Là où existe un tel accord entre les Eglises, les condamnations contenues dans les confessions de la Réforme ne concernent pas la doctrine effective de ces Eglises.
2. Christologie
21. Dans le vrai homme Jésus-Christ, le Fils éternel, et donc Dieu lui-même, s’est donné à l’humanité perdue afin de la sauver. Dans la parole de la promesse et dans le sacrement, le Saint-Esprit, et donc Dieu lui-même, nous rend présent Jésus le crucifié et le ressuscité.
22. Dans la foi en ce don que Dieu a fait de lui-même en son Fils, nous estimons, eu égard au caractère historiquement conditionné des formes de pensée héritées du passé, que notre tâche est de remettre en valeur ce qui a incité la tradition réformée à s’intéresser en particulier à l’intégrité de la divinité et de l’humanité de Jésus, et ce qui a incité la tradition luthérienne à s’intéresser en particulier à la pleine unité de sa personne.
23. Etant donné cette situation, nous ne pouvons plus reprendre à notre compte aujourd’hui les condamnations du passé.
3. Prédestination
24. L’Evangile promet l’adoption inconditionnelle du pêcheur par Dieu. Quiconque met sa confiance en cette promesse peut être assuré du salut et rendre grâce pour son élection par Dieu. Il ne saurait donc être question de l’élection que dans la perspective de la vocation au salut en Christ.
25. La foi fait certes l’expérience que le message du salut n’est pas reçu par tous ; elle respecte néan-moins le mystère de l’action de Dieu. Elle témoigne à la fois du sérieux de la décision humaine et de l’universelle volonté de salut de Dieu. Le témoignage rendu au Christ par l’Ecriture nous interdit d’ad-mettre un dessein éternel de Dieu, rejetant définitivement certaines personnes ou tout un peuple.
26. Là où existe un tel accord entre les Eglises, les condamnations contenues dans les confessions de la Réforme ne concernent pas la doctrine effective de ces Eglises.
4. Conséquences
27. Là où l’on reconnaît les faits constatés ci-dessus, les condamnations contenues dans les confessions de la Réforme à propos de la cène, de la christologie et de la prédestination ne concernent pas la doctrine dans son état actuel. En disant cela, nous ne prétendons pas que les condamnations prononcées par nos pères aient été déplacées ; toutefois, elles ne sont plus un obstacle à la communion ecclésiale.
28. Entre nos Eglises subsistent d’importantes différences dans l’ordonnance du culte, dans l’expression de la piété et dans la constitution (discipline) ecclésiastique. Ces différences sont souvent ressenties plus fortement par nos communautés que les divergences théologiques héritées du passé. Cependant, d’après le Nouveau Testament et les critères de la communion ecclésiale établis par la Réforme, nous ne pouvons pas voir dans ces différences des facteurs entraînant une séparation entre les Eglises.
IV – Déclaration et réalisation de la communion ecclésiale
29. La communion ecclésiale au sens de la présente Concorde signifie que des Eglises de traditions confessionnelles différentes, se fondant sur l’accord auquel elles sont parvenues dans la compréhension de l’Evangile, se déclarent mutuellement en communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements et s’efforcent de parvenir à la plus grande unité possible dans le témoignage et le service envers le monde.
1. Déclaration de la communion ecclésiale
30. En souscrivant à la Concorde, les Eglises, dans la fidélité aux confessions de foi qui les lient et aux traditions dont elles se réclament, déclarent ce qui suit :
31. a) Elles s’accordent sur la compréhension de l’Evangile, telle qu’elle est exprimée dans les IIe et IIIe parties.
32. b) Les condamnations doctrinales prononcées par les confessions de foi ne concernent pas, comme on le constate dans la IIIe partie, l’état actuel de la doctrine des Eglises souscrivant à la Concorde.
33. c) Elles se déclarent mutuellement en communion quant à la prédication et à l’administration des sa-crements. Cela inclut la reconnaissance mutuelle des ordinations et la possibilité de l’intercélébration.
34. Ces constatations constituent une déclaration de communion ecclésiale. Les divisions qui s’opposaient à cette communion depuis le XVIe siècle sont supprimées. Les Eglises participantes ont la conviction qu’elles font partie ensemble de l’unique Eglise de Jésus-Christ, et que le Seigneur les libère pour l’engagement dans un service commun.
2. Réalisation de la communion ecclésiale
35. La communion ecclésiale se réalise dans la vie des Eglises et des paroisses. Dans la foi et la force unifiante du Saint-Esprit, elles s’acquittent de leur témoignage et leur service en commun et s’efforcent d’affermir et d’approfondir la communion réalisée.
36. a) Témoignage et service
La prédication des Eglises gagne en crédibilité dans le monde quand elles rendent à l’Evangile un té-moignage unanime. L’Evangile libère et lie les Eglises pour un service commun. Exercé dans l’amour, ce service concerne l’homme dans sa détresse et vise à éliminer les causes de cette détresse. La re-cherche de la justice et de la paix dans le monde exige de plus en plus que les Eglises assument une responsabilité commune.
37. b) Poursuite du travail théologique
La Concorde maintient la validité des confessions de foi qui lient les Eglises participantes. Elle ne veut pas être une nouvelle confession de foi. Elle constitue un accord réalisé sur des points centraux, ac-cord qui rend possible la communion ecclésiale entre Eglises de statut confessionnel différent. Les Eglises participantes se laissent guider par cet accord dans leur témoignage et leur service communs, et s’engagent à poursuivre leurs entretiens doctrinaux.
38. La compréhension commune de l’Evangile sur laquelle est fondée la communion ecclésiale doit conti-nuer à être approfondie, examinée à la lumière du témoignage de l’Ecriture sainte et sans cesse ac-tualisée.
39. Il appartient aux Eglises de poursuivre l’étude des différences doctrinales qui persistent au sein des Eglises participantes et entre elles sans entraîner de séparation ecclésiale.
Ce sont en particulier :
les questions herméneutiques relatives à la compréhension de l’Ecriture, de la confession de foi et de l’Eglise ;
la relation entre la loi et l’Evangile ;
la pratique du baptême ;
le ministère et l’ordination ;
la doctrine des deux règnes et la doctrine de la royauté de Jésus-Christ ;
l’Eglise et la Société.
Il faut considérer également les problèmes nouveaux qui surgissent à propos du témoignage et du service, ainsi que de la constitution et de la pratique des Eglises.
40. Sur la base de leur héritage commun, les Eglises issues de la Réforme doivent se préoccuper des tendances à la polarisation théologique qui se manifestent actuellement. Certains des problèmes qui leur sont liés sont plus importants que les différences de doctrine qui ont jadis provoqué la controverse luthéro-réformée.
41. Il appartiendra au travail théologique commun d’attester et de définir la vérité de l’Evangile face à ses déformations.
42. c) Conséquences en matière d’organisation
La déclaration de la communion ecclésiale n’anticipe pas sur le règlement au plan du droit ecclésiasti-que, des questions particulières entre Eglises et à l’intérieur des Eglises. Les Eglises auront cependant à tenir compte de la Concorde dans l’établissement de ces règlements.
43. D’une façon générale, il est convenu que la déclaration de communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements et la reconnaissance mutuelle des ordinations ne portent pas atteinte aux dispositions en vigueur dans les Eglises concernant l’engagement au ministère pastoral, l’exercice de ce ministère et l’organisation de la vie paroissiale.
44. La question d’une fusion organique entre certaines des Eglises participantes ne peut être tranchée que dans la situation où vivent ces Eglises. Lorsqu’on examinera cette question il faudra prendre en considération les points de vue suivants :
45. Une unification qui porterait atteinte à la pluralité vivante des formes de la prédication, de la vie cultu-relle, de l’ordre ecclésial et de l’activité diaconales et sociale, contredirait l’essence de la communion ecclésiale conclue par la présente déclaration. D’autre part, dans certaines situations, le service de l’Eglise peut pousser à une unification juridique en raison d’une dépendance entre témoignage et ordre. Si l’on tire de la déclaration de la communion ecclésiale des conséquences sur le plan de l’organi-sation, il ne faudra pas porter atteinte à la liberté de décision des Eglises minoritaires.
46. d) Aspects oecuméniques
En déclarant et en réalisant entre elles la communion ecclésiale, les Eglises participantes sont mues par l’impératif de servir la communion oecuménique de toutes les Eglises chrétiennes.
47. Elles considèrent une telle communion ecclésiale dans le cadre européen comme une contribution à la réalisation de ce but. Elles espèrent que leur effort pour surmonter leur séparation séculaire se réper-cutera sur les Eglises qui leur sont apparentées par leur confession en Europe et sur d’autres continents, et se déclarent prêtes à examiner avec celles-ci la possibilité d’une communion ecclésiale.
48. Cette attente vaut également pour les relations entre la Fédération luthérienne mondiale et l’Alliance réformée mondiale.
49. Elles espèrent également que la communion ecclésiale donnera une nouvelle impulsion à la rencontre et à la collaboration avec les Eglises d’autres confessions. Elles se déclarent prêtes à placer les entretiens doctrinaux dans cette perspective plus vaste.